Dossier-Les-pouvoirs-de-la-respiration

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QUAND LE SOUFFLE VIENT A MANQUER

Souffle court, sensation d’étouffer, anxiété incontrôlable … Les maladies respiratoires causent une souffrance psychologique particulièrement intense. Comment la soulager ?

Par Thomas Similowskl, pneumologue et directeur de l’unité de recherche Neurophysiologie respiratoire expérimentale et clinique, Inserm-Sorbonne Université.

EN BREF :

Une respiration difficile entraîne une sensation de menace vitale et de perte de contrôle, source d’une violente souffrance psychologique.

Pour l’apaiser, on cherche à corriger les anomalies de l’appareil respiratoire, mais aussi à « tromper » le cerveau et à apprendre aux patients à ne pas se focaliser sur leur souffrance.

Le retour du souffle apporte une sensation de bien-être indescriptible, qualifiée de « félicité respiratoire » par certains pneumologues.

Quand la respiration devient un combat, une souffrance, la vie se rétrécit autour de ce souffle qui manque. C’est par ces termes qu’Ia, Fondation du souffle, qui finance des recherches dans le domaine des pathologies respiratoires, soulignent à quel point ces maladies sont difficiles à vivre dans les formes sévères, en effet, l’anxiété devient permanente et la détresse envahit le discours du patient, « j’étouffe », «l’air ne rentre pas à fond », « j’ai peur »…). C’est au point qu’un courant de pensée récent considère que la souffrance respiratoire est un droit humain fondamental au même titre que celle de la douleur, et que faillir à cette prise en charge est une faute non seulement médicale, mais aussi sociale.

Ces pathologies n’ont hélas rien de rare : on estime à presque 10 millions le nombre de Français touchés par une maladie respiratoire chronique.
L’asthme est au premier rang, avec 4 à 5 millions de patients. Il se caractérise par des crises récurrentes, où la respiration devient difficile et irrégulière en raison d’une inflammation et d’un rétrécissement anormal des bronches, souvent provoqués par un allergène (poussières, pollen, poils d’animaux, acariens…).
La bronchopneumopathie chronique vient en deuxième position (3 à 4 millions de personnes touchées).
Dans cette maladie, causée par la fumée du tabac, on observe une inflammation des bronches et une destruction des poumons ; le souffle « s’émiette » alors progressivement et devient court et douloureux, au point que le moindre effort se transforme en calvaire.
Bien d’autres troubles respiratoires existent, qu’ils soient directement causés par une atteinte des poumons et des bronches ou une conséquence secondaire d’autres pathologies, comme l’insuffisance cardiaque, l’obésité ou les maladies neuromusculaires (myopathie, sclérose latérale amyotrophique…).

On regroupe ces difficultés respiratoires sous le nom de « dyspnée », Dans certaines dyspnées, comme l’asthme, il y a une atteinte réelle de l’appareil respiratoire, mais dans d’autres, comme le syndrome d’hyperventilation, ce n’est pas le cas. Les patients victimes de ce syndrome se plaignent d’avoir du mal à respirer, alors qu’ils n’ont aucune maladie des poumons ou du cœur susceptible d’expliquer leur essoufflement. Selon certains médecins, le problème vient de la perception anormale d’informations respiratoires qui devraient être filtrées : les patients « sentent » plus souvent que la moyenne leur souffle parcourir leurs bronches ou leurs poumons, s’imaginent une maladie quelconque, puis se mettent à angoisser et à hyperventiler.

LA PIRE SOUFFRANCE PSYCHOLOGIQUE POSSIBLE

De façon générale, quand le cerveau réalise – ou croit – que le système respiratoire est défaillant, c’est la panique ! Le patient éprouve une sensation qui ressemble à la douleur, mais qui est probablement pire, en ce qu’elle est toujours et très vite associée à une intense angoisse de mort. Il sent sa vie menacée, sans la moindre possibilité de contrôle ; il s’agit de la pire souffrance psychologique possible, ce qu’ont bien compris depuis des siècles les tortionnaires de tout bord, qui ont utilisé différentes techniques de noyade simulée.

Beaucoup de patients développent alors un syndrome de stress post-traumatique quand le traitement met un certain temps à agir ou, pire, quand la dyspnée n’est pas identifiée en raison d’une impossibilité de parler. L’exemple type est celui des patients hospitalisés et placés sous une assistance respiratoire insuffisante. On commence tout juste à prendre conscience de l’ampleur du problème, qui serait bien plus fréquent qu’on ne le pensait.

Le syndrome de stress post-traumatique pousse ces patients à des anticipations néfastes : le simple fait de regarder un escalier les angoisse et les essouffle, alors même qu’ils n’ont pas posé le pied sur la première marche. En conséquence, ils adaptent leur vie, changent d’habitude, renoncent à certaines activités : il faut à tout prix éviter que la dyspnée ne se reproduise, éviter d’être exposé de nouveau à cette souffrance. Mais quand les renoncements nécessaires sont trop importants, la dépression s’installe.

Si les maladies respiratoires influent sur le cerveau et sur l’état psychologique, l’inverse est également vrai. Un stress intense peut ainsi aggraver les symptômes, comme l’ont montré Melissa Rosenkranz, de l’université du Wisconsin Madison, aux États-Unis, et ses collègues. Ces chercheurs ont observé, chez des étudiants asthmatiques, que l’inflammation et l’obstruction des bronches sont plus sévères en période d’examen. Ils se sont ensuite demandés s’il existait des personnes particulièrement vulnérables, qui présenteraient une sorte d’« hyperréactivité cérébrale » susceptible d’aggraver la maladie. Et il semble bien que ce soit le cas : grâce à une expérience d’imagerie cérébrale fonctionnelle, ils ont montré que les patients dont l’insula réagit le plus intensément à des stimuli liés à l’asthme (la lecture ou l’écoute d’expressions comme « respiration bruyante ») sont ceux qui développent les symptômes les plus marqués par la suite.

Comment soulage-t-on la dyspnée ?
Une première stratégie consiste à intervenir sur l’appareil respiratoire, dont on cherche à corriger les anomalies. Dans le cas de l’asthme, par exemple, on administre des médicaments qui dilatent les bronches grâce à de petits inhalateurs. Mais souvent, ça ne suffit pas, et il faut alors agir à un second niveau : le cerveau. Si on ne dispose malheureusement pas d’un arsenal pharmacologique comparable à celui qui existe contre la douleur, on peut tout de même apaiser la souffrance grâce à des opiacés. Toutefois, ceux-ci ont également tendance à diminuer les signaux moteurs qui contrôlent la respiration, d’où un danger potentiel et un débat autour de leur utilisation ; pour l’instant, seul le cas de la fin de vie fait consensus.
On cherche aussi parfois à tromper le cerveau en lui faisant croire que la respiration est meilleure qu’elle ne l’est en réalité. On utilise pour cela un petit ventilateur portable, que le patient tourne vers son visage. Le flux d’air produit stimule des récepteurs cutanés connectés au nerf trijumeau (qui assure l’essentiel de l’innervation sensitive de la face) et le cerveau interprète ce signal comme une arrivée plus importante d’air dans l’organisme, ce qui soulage – partiellement – la dyspnée. Ce mécanisme explique aussi pourquoi les patients qui peinent à respirer recherchent les courants d’air, à l’instar des asthmatiques qui se mettent à leur fenêtre pour aller mieux.

BRISER LE CERCLE VICIEUX

Le troisième niveau d’intervention est le psychisme. Il s’agit avant tout de briser le cercle vicieux, où l’anxiété et la souffrance respiratoire s’entretiennent mutuellement. On cherche ainsi à apaiser les patients et à leur apprendre à vivre avec leur maladie. La technique de la compétition attentionnelle consiste par exemple à conseiller à un patient d’écouter une musique qu’il aime pendant un effort ; cela n’améliore pas ses performances, mais il pense moins à sa souffrance. Autres méthodes utilisées : l’hypnose, la méditation ou la thérapie cognitivo-comportementale. En pratique, très peu de médecins les proposent toutefois, car les études qui prouvent leur efficacité dans ce cas précis restent à étendre et à confirmer.

En tout état de cause, on ne peut soulager les dyspnées qu’en s’en préoccupant, qu’en allant vers ceux qui souffrent, parce que rien n’est pire pour un patient que l’invisibilité de sa souffrance et que la simple empathie a des vertus thérapeutiques. Cela n’a rien d’aisé, car la souffrance respiratoire est particulièrement contagieuse : les proches et les soignants sont souvent saisis d’une sorte de malaise, voire d’une sensation respiratoire désagréable, à la vue de patients au souffle court. Les recherches ont aussi montré que les proches de patients décédés en réanimation sont davantage victimes de stress post-traumatique lorsqu’ils ont assisté à leur détresse respiratoire, et ont plus de mal à faire leur deuil.
Mais quand on parvient à supprimer ou atténuer une dyspnée, le soulagement est à la hauteur de la souffrance. De nombreux travaux indiquent une réduction immédiate et spectaculaire de l’anxiété. Redevenant capables d’effectuer des efforts, les patients reprennent leurs activités, ce qui agit contre la dépression. Du moins après s’être accordés un repos bien mérité! Car ceux qui ont souffert d’importantes difficultés respiratoires pendant plusieurs jours (comme des crises d’asthme qui s’enchaînent) s’endorment alors instantanément …

En 2008, Claudine Peiffer, de l’hôpital Robert Debré, à Paris, et ses collègues ont montré que la sensation de bonheur ressentie lorsque la souffrance respiratoire s’arrête passe par l’activation d’un circuit cérébral spécifique, comprenant notamment le cortex cingulaire antérieur. Cette zone est connue pour s’activer intensément lors du soulagement de diverses sensations déplaisantes, comme l’envie d’uriner, la soif ou la douleur. Mais bien d’autres régions cérébrales s’allument, formant une constellation propre au soulagement respiratoire. La sensation associée est unique et Claudine Pfeiffer va jusqu’à parler de « félicité respiratoire ». Un sentiment par nature inaccessible aux personnes qui n’ont jamais eu de telles maladies, puisqu’il procède du contraste avec elles ….

10 MILLIONS DE FRANÇAIS souffrent d’une maladie respiratoire chronique, comme l’asthme ou la bronchopneumopathie chronique (provoquée par la fumée du tabac),

Bibliographie :

M. A. Rosenkranz et aI .• Aret here neurophenotypes for asthma? Functional brain imaging of the interaction between emotion and inflammation in asthma, PLoS ONE,
vol. 7, pp.H2, 2012.
C. Peiffer et aI., Reliefofdyspnea involves a characteristic brain activation and a specific quality of sensation, American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, vol. 177, pp. 440-449, 2008.

AVEZ-VOUS UN PROBLÈME DE SOUFFLE?

Quand la respiration est constamment difficile et douloureuse, la pathologie est évidente. Mais les maladies respiratoires sont parfois moins visibles. Voici six questions à se poser pour détecter un problème de souffle. Si vous répondez par l’affirmative à l’une d’elles, n’hésitez pas à consulter un pneumologue.
. Considérez-vous que votre souffle est un problème pour vous ?
. Vous arrive-t-il de vous arrêter pour reprendre votre souffle quand vous parcourez une courte distance en marchant, sur du plat ?
. Votre souffle vous oblige-t-il à ralentir en faisant les courses ou le ménage, en vous habillant, en faisant votre toilette, en gravissant les marches sur un étage ?
. Quand vous marchez avec quelqu’un de votre âge, doit-il ralentir pour rester à votre niveau ? À cause de votre souffle ?
. Etes-vous essoufflé quand vous téléphonez en marchant ?
. Quand vous téléphonez, votre interlocuteur vous demande-t-il parfois si vous êtes essoufflé ?

Découvrez le Dossier Complet – Les Pouvoirs de la Respiration
Magazine Cerveau & Psychos – N° 103 – Octobre 2018

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