Dossier-Les-pouvoirs-de-la-respiration

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Des recherches récentes indiquent que la respiration synchronise l’activité cérébrale et joue un rôle dans la conscience de soi. Elle est aussi étroitement liée aux centres émotionnels du cerveau.
En conséquence, quand elle est perturbée, les émotions s’emballent et les performances cognitives baissent.
A l’inverse, la pratique d’exercices de respiration permet d’agir sur le stress et l’anxiété.

Souffle et cerveau sont si étroitement liés que la respiration a une influence décisive sur notre psychisme.
Elle module aussi bien la conscience de soi que les ca
pacités cognitives et les émotions.
Par Thomas Similowski, pneumologue et directeur de l’unité de recherche Neurophysiologie respiratoire expérimentale et clinique, Inserm-Sorbonne Université.

A vous qui lisez ces lignes, j’ai une demande un peu particulière à adresser : pourriez-vous, s’il vous plaît, accélérer les battements de votre cœur ? Et maintenant, les arrêter totalement ? Je vous laisse quelques secondes pour essayer. À présent, pourriez-vous arrêter de respirer ? Respirer plus vite et plus fort?
Si vous êtes normalement constitué, vous avez échoué aux deux premiers exercices, et réussi aux deux suivants. C’est que la respiration est une fonction bien particulière: comme les pulsations cardiaques, elle est automatique, fonctionnant même pendant le sommeil, et autorégulée (elle s’intensifie par exemple à l’effort sans que nous y prêtions attention) ; mais à l’inverse de ces dernières, il est aussi possible de la commander volontairement. On peut ainsi retenir son souffle pour nager sous l’eau, éviter une mauvaise odeur, être le plus silencieux possible … mais également s’en servir pour communiquer, que ce soit à travers un simple soupir d’exaspération ou par le biais de la parole : en court-circuitant le contrôle automatique de la respiration, nous sommes capables de doser subtilement notre souffle pour produire des mots, des intonations ou des phrases.

L’origine évolutive de cette possibilité étonnante de «jouer» avec sa respiration reste mystérieuse. Peut-être s’agit-il d’une adaptation ancestrale à un mode de vie semi-aquatique: c’est un avantage certain quand il faut plonger pour accéder à des ressources alimentaires, comme des poissons ou des coquillages. Quelle que soit son origine, cette particularité est permise par un double système de contrôle: certaines zones du tronc cérébral assurent le pilotage automatique et inconscient de la respiration, tandis que des régions corticales peuvent prendre le dessus et imposer un rythme particulier.

Pour régler ce complexe ballet, le cerveau se fonde sur une multitude d’informations remontant du corps.
Les recherches récentes suggèrent qu’elles l’influencent en retour d’une façon plus importante, plus permanente qu’on ne l’a longtemps pensé. Elles seraient même essentielles à la conscience de soi! La conséquence est à double tranchant : quand le souffle est perturbé par une maladie, notre cerveau et notre psychisme en souffrent gravement ; mais nous pouvons aussi récupérer cette influence à notre profit, par le biais des exercices respiratoires. Les approches traditionnelles, comme le yoga ou la méditation, exploitent d’ailleurs depuis longtemps la possibilité de réguler volontairement son souffle, proposant une série de techniques pour calmer l’anxiété.

Une muette très bavarde

Il est heureux que le cerveau maintienne la respiration sous étroite surveillance : elle est essentielle à notre survie, fournissant l’oxygène nécessaire pour « brûler» les aliments et les transformer en énergie. Elle est dite «végétative», terme qui désigne un certain nombre de fonctions vitales assurant automatiquement la bonne marche de l’organisme et son adaptation aux variations d’activité et d’environnement : la respiration, donc, mais aussi la circulation du sang et la digestion. Ces fonctions travaillent en permanence, sans qu’on s’en aperçoive – un phénomène poétiquement qualifié de «silence des organes». En ce moment, sentez-vous que votre cœur bat ? Non. Sentez-vous que vous respirez? Non plus. Enfin, vous ne le sentiez pas avant d’y prêter attention …

Pourtant, le fait de respirer envoie en permanence au cerveau des tombereaux d’informations. Celles-ci proviennent du nez qui capte des odeurs et se refroidit suite au passage de l’air, des bronches et des poumons qui se gonflent et se dégonflent, des muscles qui se contractent, des articulations des côtes qui bougent … Heureusement, ces informations n’atteignent pas la conscience. Le cerveau s’aperçoit très vite qu’elles sont toujours semblables d’une respiration à l’autre et se met à les filtrer. Il continue tout de même à les analyser, notamment grâce à une zone cérébrale nommée «insula». Dès qu’il détecte une anomalie ou une simple modification (par exemple si vous êtes essoufflé suite à un effort intense), il fait émerger la respiration dans la conscience. On parle d’« intéroception », littéralement la perception de l’intérieur. L’objectif étant de sonner l’alarme en cas de danger pour l’organisme.

La façon la plus évidente dont les informations provenant de l’appareil respiratoire nous influencent est peut-être par le biais des odeurs : songez comme un parfum de croissant chaud met instantanément l’eau à la bouche ou comme des senteurs de pluie ressuscitent le souvenir de retours d’école sous l’averse, nous inspirant au passage une puissante nostalgie. Or dès 1965, une équipe de chercheurs italiens a montré que la perception d’odeurs est totalement dépendante de la respiration : quand on retient son souffle, on n’en perçoit aucune, même quand des molécules odorantes sont présentes sur les récepteurs olfactifs ; l’action mécanique d’un flux d’air sur les cils qui tapissent le fond du nez est donc nécessaire.
Mais même quand elles sont filtrées et n’atteignent pas la conscience, les informations respiratoires ont un effet sur le système nerveux. Plusieurs études ont montré, chez l’animal et chez l’homme, qu’elles modulent en continu l’activité cérébrale. Les conséquences ne sont pas encore complètement claires, mais cela pourrait favoriser l’éveil et la vigilance, tout en ayant un rôle synchronisant. En 2016, l’équipe du neuroscientifique américain Jay Gottfried, à l’université Northwestern, a ainsi découvert que l’activité de nombreuses régions cérébrales oscille au rythme de la respiration. Les chercheurs ont utilisé pour cela des électrodes implantées dans le crâne de patients épileptiques (à l’origine dans le but de traquer la zone de départ de leurs crises). Ils ont aussi découvert que pendant la phase d’inspiration, on mémorise mieux et on reconnaît plus vite une expression apeurée sur un visage que lors de l’expiration. Selon Christina Zelano, qui a participé à ces travaux, c’est avantageux dans une situation dangereuse, car la peur nous pousse alors à déséquilibrer notre souffle en faveur de l’inspiration, déclenchant un salutaire petit coup de fouet cognitif.

Biographic

Thomas Similowski
Chef du se/vice de Pneumologie, Médecine intensive et Réanimation, au Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière Charles-Foix, à Paris,
et directeur de l’unité de recherche Neurophysiologie respiratoire expérimentale et clinique (UMILS 1158, Inserm-Sorbonne Université).

L’activité de nombreuses régions cérébrales oscille au rythme de la respiration

La respiration participerait aussi à la construction par l’organisme de sa propre identité, de la conscience de soi corporelle (en anglais bodily selfconsciousness). C’est elle qui nous permet de savoir à tout instant que notre corps nous appartient et que nos expériences conscientes lui sont liées, sans avoir à le bouger ou le tester. Pour le montrer, nous avons mené une expérience utilisant la réalité virtuelle avec l’équipe d’Olaf Blanke, à l’université de Genève. Les participants étaient allongés et coiffés d’un casque qui leur présentait une image de leur propre corps, vu de dos ; cette image apparaissait et disparaissait soit au rythme de leur respiration, soit de façon désynchronisée. Or le signal calé sur leur souffle a introduit une étrange confusion dans l’esprit des participants : par rapport à un signal désynchronisé, ils manifestaient un degré d’accord supérieur avec des affirmations comme « j’ai l’impression de sentir ma respiration dans le corps virtuel » ou «j’ai l’impression que le corps virtuel utilise mes poumons pour respirer ». En outre, la position qu’ils imaginaient occuper dans l’espace était légèrement déplacée vers l’avatar. C’est un peu comme s’ils se disaient inconsciemment : « Tout ce qui bouge au rythme de mon souffle fait partie de moi. »

Respirer c’est être soi

La conscience de soi dépendrait donc de la respiration, même si, bien sûr, ce n’est pas exclusif. Pour la construire, notre cerveau intègre de multiples informations. Certaines viennent de l’intérieur de l’organisme, comme celles issues de la proprioception (la perception de la position des différentes parties du corps), d’autres de l’extérieur, fournies par exemple par les cinq sens. La respiration, quant à elle, est au croisement des deux. Elle collecte en effet aussi bien des informations sur l’intérieur du corps (issues des muscles, des articulations, des poumons … ) que sur l’extérieur (l’humidité de l’air, les odeurs).
Conséquence de cette influence de la respiration sur le psychisme, quand l’une est perturbée, l’autre l’est aussi. Toute une série d’expériences ont exploré cet aspect, soit chez les patients victimes de maladies respiratoires (comme l’asthme), soit en simulant un problème de souffle grâce à une valve à travers laquelle on fait respirer le sujet. Or dans de telles conditions, le transfert du corps réel vers l’avatar ne se produit plus dans l’expérience que nous venons d’évoquer, signe que les informations respiratoires ne sont plus intégrées comme d’habitude. Un certain nombre de capacités cognitives sont également affaiblies. Avoir du mal à respirer diminue ainsi la perception de la douleur, perturbe la réalisation de tâches simples (on met par exemple plus de temps à se lever, marcher trois mètres et revenir se rasseoir), dégrade les capacités d’attention soutenue et altère la capacité à reconnaître des émotions chez les autres : une expression de peur doit par exemple être plus marquée pour être reconnue, comme nous l’avons montré en 2018 avec mon équipe.
Cela s’explique sans doute en partie par un effet attentionnel (difficile de se concentrer sur une tâche intellectuelle quand l’esprit est obnubilé par la souffrance), mais on soupçonne aussi une compétition pour les ressources corticales. En effet, quand le tronc cérébral ne parvient plus à assurer une respiration normale, le cortex vient à sa rescousse. Du coup, il est moins disponible pour les tâches cognitives.

3 FAITS ÉTONNANTS SUR LA RESPIRATION

La respiration est omniprésente dans l’inconscient collectif depuis au moins l’Antiquité. En voici trois illustrations.

L’ACTE LE PLUS EROTIOUE
Selon l’historien français Thierry Eloi. dans la Rome antique, c’était l’échange du souffle qui était considéré comme l’acte le plus érotique, avant le baiser et les rapports sexuels.

LE SYMBOLE DE LA PENSEE
Les mots latins « anima» et « psyché» avaient le double sens d’âme (ou d’esprit) et de souffle. De même, le terme grec « Phrénos » désignait à la fois l’esprit et le diaphragme, car en séparant le noble (le thorax) du vulgaire (l’abdomen), ce muscle était considéré comme le garant de la pureté de l’esprit.

UN FONDEMENT DU RACISME SCIENTIFIOUE
La quantité totale d’air que l’on peut inspirer, mesurée avec un spiromètre, a été l’un des fondements du racisme scientifique développé par l’Occident au XIX• siècle: pour une raison qu’on ignore, elle est en moyenne moindre chez les populations de peau noire, ce qui était considéré comme une preuve de la supériorité de la « race blanche ».

SYNDROME D’ONDINE : CES PATIENTS QUI OUBLIENT DE RESPIRER EN DORMANT

Cette hypothèse nous a été inspirée par l’observation de patients souffrant d’une maladie étonnante :
le syndrome d’Ondine. Très rare – elle touche moins d’un nouveau-né sur 200000-, cette pathologie résulte d’une mutation génétique, qui cause une défaillance des zones du tronc cérébral responsables de la respiration automatique. Quand les patients sont éveillés, ils respirent presque normalement, grâce au recrutement de réseaux corticaux. Mais lorsqu’ils dorment, ceux-ci ne sont plus assez actifs pour assurer cette tâche: les patients doivent donc être ventilés artificiellement, sous peine de mourir.
Heureusement, à l’éveil, une forme d’automatisation se met en place, de sorte qu’ils ne sont pas constamment obligés de penser à respirer. Mais la mobilisation du cortex a un coût, comme nous l’avons montré en 2014 avec l’équipe du neurologue Lionel Naccache. L’expérience consistait à communiquer un chiffre à une patiente toutes les trois secondes, en lui demandant d’additionner les deux derniers qu’elle avait entendus. Or quand elle était mise sous respiration artificielle, elle réussissait à produire de plus longues séquences de résultats corrects. Il semble ainsi que délivrer le cortex de la tâche de respirer libère des ressources pour d’autres fonctions cognitives.
Mais c’est surtout sur l’état émotionnel que les maladies du souffle exercent l’influence la plus manifeste (voir l’article « Quand le souffle vient à manquer « , page ). La respiration est en effet sous la surveillance étroite des circuits cérébraux dits limbiques. Quand elle devient difficile, ces circuits, impliqués dans les émotions, s’activent intensément. Le souffle fait alors irruption dans la conscience, suscitant une déferlante d’émotions négatives: le plus souvent l’anxiété et la peur, mais parfois aussi la frustration, la colère et un abattement intense.
Les crises sont très pénibles. Le patient respire vite, laborieusement, en activant des muscles qui ne sont pas recrutés normalement, comme ceux du cou. Il rentre dans un cercle vicieux: la peur le fait respirer plus fort, et respirer plus fort lui fait peur. En conséquence, son cœur s’accélère, son corps se couvre de sueur, son visage se déforme sous l’action de l’angoisse et de la souffrance …

Agir sur sa respiration pour agir sur son esprit

Heureusement, le pouvoir du souffle sur nos émotions peut aussi être utilisé pour notre bien-être ! L’abondance d’informations respiratoires qui remontent au cerveau a une conséquence fondamentale: il est très facile de «dé-filtrer» ces informations, simplement par la pensée. Autrement dit, en se concentrant sur sa respiration, on peut accéder à toutes sortes de sensations associées : on perçoit l’air qui passe dans le nez, on l’entend s’engouffrer en nous, on sent les poumons et le ventre se gonfler … Cette faculté forme la base de la plupart des exercices respiratoires prônés par le yoga, la méditation et toutes les autres interventions corps-esprit.

Des exercices respiratoires réguliers déclenchent des mécanismes de neuroplasticité dans le cerveau, sans doute à l’origine de bénéfices durables

Très schématiquement, ces exercices visent à obtenir deux types de résultat : d’une part, une respiration consciemment perçue et contrôlée ; d’autre part, une respiration plus lente, plus ample, plus régulière.
Ils exercent une telle fascination que certains les présentent comme des remèdes miracles, leur attribuant des vertus qui vont bien au-delà de ce qui est réellement démontré par la science. Ils n’en exercent pas moins un réel effet apaisant, comme l’attestent de plus en plus d’études.
Comment agissent-ils? Plusieurs mécanismes, sans doute combinés, seraient en cause. Le premier est démontré de longue date : une respiration lente et profonde stimule le système dit parasympathique, qui apaise l’organisme. En effet, les poumons et les bronches sont dotés de multiples récepteurs nerveux, captant notamment l’ampleur de leur étirement. Ces récepteurs sont connectés au système parasympathique et leur activation intense provoque la mise en jeu de ce dernier, avec un effet inhibiteur destiné à éviter que l’appareil respiratoire ne s’abîme en se gonflant trop. Cet effet inhibiteur s’étend aux pulsations cardiaques, qui ralentissent, et agit également sur certains centres cérébraux des émotions. Au final, il se traduit par un effet relaxant.
Notons que beaucoup d’approches corps-esprit préconisent de respirer «par le ventre « , autrement dit en contractant le diaphragme, prétendument parce que cela active davantage le système parasympathique. Aucune étude scientifique ne l’a démontré à ce jour, mais on peut le penser pour plusieurs raisons.
Par exemple, parce qu’une inspiration diaphragmatique gonfle davantage les lobes inférieurs des poumons, qui sont bien plus grands que les lobes supérieurs ; elle active donc probablement davantage de récepteurs pulmonaires, d’où une plus grande stimulation du nerf vague. En outre, elle comprime le contenu abdominal, abondamment innervé par ce nerf, qui pourrait donc s’activer encore davantage.

Un second mécanisme envisageable tient à la focalisation des ressources cérébrales sur la respiration. C’est une façon de s’extraire du monde extérieur et de mettre à distance des éléments préoccupants ou stressants. Savoir que l’on respire et agir consciemment sur son souffle donne peut-être aussi un sentiment de contrôle réconfortant – la perte de contrôle est en effet particulièrement anxiogène, comme on le voit dans le contexte des problèmes respiratoires.

Toute une série de travaux récents laissent également penser que ces exercices agissent directement sur le cerveau. En 2018, Jose Herrero, de l’institut Feinstein de recherche médicale, à New York, et ses collègues ont par exemple montré que lorsqu’on prête attention au souffle, des régions qui n’étaient pas synchronisées sur la respiration le deviennent; c’est le cas du cortex cingulaire antérieur, une zone impliquée dans la conscience de soi. Les conséquences sur l’état psychologique restent toutefois à préciser. Moduler le souffle influence peut-être aussi certaines zones émotionnelles du cerveau via des connexions directes avec les centres de contrôle respiratoire.

Quand le calme se grave dans le cerveau

À plus long terme, les exercices respiratoires pourraient modifier durablement l’organisation et le fonctionnement de certains circuits cérébraux, au travers de mécanismes de neuroplasticité. Ce terme désigne la capacité du cerveau à se modifier tout au long de la vie, par exemple lors d’un apprentissage. Chez les guitaristes, la zone du cortex qui reçoit les informations sensorielles en provenance de la main gauche est ainsi plus étendue que chez les autres. De même, la représentation corticale du diaphragme augmente en taille et en sensibilité après seulement quelques jours d’entraînement à la « respiration diaphragmatique », à raison de quelques minutes par jour. La méditation modifie aussi l’activité de nombreuses aires cérébrales, voire leur volume, peut-être en partie grâce aux exercices respiratoires. L’insula deviendrait ainsi moins réactive et déclencherait moins facilement du stress et de l’anxiété dans les situations de vie difficile. Un peu comme ce qu’on observe chez certains athlètes adeptes des efforts extrêmes : leur insula réagit de façon moins intense à une stimulation respiratoire désagréable (inspirer à travers une valve), car elle est habituée aux essoufflements importants.

Qu’en est-il de la cognition ? Étant donné l’influence de la respiration, y a-t-il des exercices que l’on peut faire pour améliorer, par exemple, la concentration et la mémorisation ?
Hélas non ! C’est même l’inverse. On l’a vu, réaliser un exercice respiratoire implique de focaliser l’attention sur le souffle et de mobiliser des ressources corticales, ce qui a un impact négatif sur la réalisation simultanée d’une autre tâche. Il peut être utile d’effectuer un tel exercice pour calmer son stress, mais au moment de passer à l’action, ne pensez plus à respirer ! Ce serait contre-productif …
Les bénéfices obtenus grâce au travail du souffle et la volonté de développer des « rééducations respiratoires » pour certaines pathologies ont inspiré un autre type de tentative: modifier la respiration automatique. L’idée était alléchante : imaginez qu’on la rende plus lente et plus profonde, de façon à rester constamment calme et apaisé …

Mais là encore, chou blanc. Tous les essais visant à modifier la respiration automatique se sont soldés par des échecs, les participants reprenant leurs habitudes dès qu’ils n’y prêtaient plus attention. En 1991, Jorge Gallego et Pierre Perruchet, de l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, ont par exemple proposé huit séances d’une heure à des volontaires pour les entraîner à allonger leur durée d’inspiration. Ils devaient viser une durée cible et toutes les dix inspirations, un dispositif informatique leur disait s’ils en étaient plus ou moins proches. Au fil des séances, ils réussissaient de mieux en mieux l’exercice, ce qui suggère une forme d’apprentissage. Mais en dehors des sessions, leur durée d’inspiration ne s’est pas modifiée de la moindre fraction de seconde.

UNE FAÇON DE RESPIRER QUI NOUS EST PROPRE

Il est donc impossible de modifier notre respiration automatique. On peut juste apprendre à mieux réaliser certains exercices : si l’on s’entraîne à respirer avec le diaphragme, par exemple, on y parviendra plus vite et plus facilement par la suite, mais on n’utilisera pas davantage ce muscle lors de la respiration automatique. L’organisation neurale de celle-ci semble immuable. On ignore à partir de quel moment elle se fixe (au stade embryonnaire ? Pendant les années d’enfance ou d’adolescence ?), mais une chose est sûre : à l’âge adulte, nous avons une façon de respirer qui nous est propre, de même que nous avons une manière de marcher personnelle.
Reste que par le biais du contrôle volontaire, la respiration nous offre un puissant moyen d’influer sur notre état psychologique. Par un autre biais aussi, d’ailleurs : voir ou entendre quelqu’un respirer calmement est apaisant, rassurant. Vous n’avez alors qu’à vous laisser bercer par le souffle de votre conjoint ou à regarder vos enfants qui dorment ; en quelques minutes, vous devriez sentir votre stress refluer ….

NOUS RESPIRONS NOS RÊVES !
En 2018, avec l’équipe de la neurologue Isabelle Arnulf, nous avons montré que la respiration des dormeurs reflète leurs songes. Ainsi, rêver d’une apnée déclenche une suspension du souffle, tandis que rêver de chanter entraîne de grandes inspirations pour se préparer aux vocalises. Les réseaux corticaux responsables du contrôle volontaire du souffle peuvent donc être recrutés pendant le sommeil.
Thomas Similowski Source: D. Oudiette et al. Scientific Reports, 29janvier 2018.

Bibliographie

J. L. Herrero et al » Breathing above the brain stem: volitional control and attentional modulation in humans,Journal of Neurophysiology, vol. 119, pp. 145-59, 2018.

K. C. R. Fox et al., Functional neuroanatomyof meditation,Neuroscience and Biobehavioral Reviews, vol. 65,
pp. 208-228, 2016.

M. Sharman et al., The cerebral cost of breathing: an FMRI case-study in congenital central hypoventilation syndrome, PLoS ONE, vol. 9, pp. HO, 2014.

Découvrez le Dossier Complet – Les Pouvoirs de la Respiration
Magazine Cerveau & Psychos – N° 103 – Octobre 2018

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